Un des aphorismes du Lao Zi nous le dit assez clairement : « Celui qui parle ne sent pas, celui qui sent ne parle pas ». Également traduit par « celui qui parle ne sait pas, celui qui sait ne parle pas ».
Les deux traductions nous indiquent la même impossibilité d’être dans la sensation ou le ressenti quand la partie analytique du cerveau, en l’occurrence le fait de parler, est en action.
Dans la vision chinoise de la nature humaine, le ressenti est assujetti à la détente du corps et de l’esprit. Nous allons donc aborder dans un premier temps l’accès à la détente corporelle qui est directement liée à la détente de l’esprit. Nous aborderons ensuite le placement de l’esprit dans les ressentis pendant la pratique.
Pour accéder à la détente corporelle, il est nécessaire de mettre en œuvre deux processus.
– La recherche d’un placement du corps en harmonie avec la position debout de l’être humain, c’est à dire en considérant la structure verticale de l’humain. Ce qui implique une prise en compte du positionnement de l’ensemble du squelette et en particulier le positionnement du bassin et de la colonne. Mais également la tonicité particulière des différents groupes musculaires, la fluidité des fascias, l’élasticité des ligaments et des tendons …
– Mais, pour accéder à une détente profonde, cette compréhension générale, ce positionnement théorique de la corporalité humaine doit également être en accord, en harmonie, en agrément, avec la structure personnelle de chacun, afin de ne pas aller contre la façon dont chaque personne exprime le fait d’être vivant et en mouvement, sous peine de recréer des tensions.
Cette qualité de détente va grandement favoriser la détente du diaphragme et la tranquillité de la respiration elle même en lien avec la paix de l’esprit et l’apparition des ressentis dans la pratique. Si le corps n’est pas « dans sa place », des tensions apparaissent et les ressentis sont beaucoup moins forts, voir parfois, seulement induits par la pensée.
Cependant, nous avons une image corporelle de nous même bien inscrite dans la conscience, voir dans la partie non consciente de l’esprit. Pour que le placement corporel se modifie, il va donc être nécessaire de passer d’abord par la prise de conscience, la compréhension et l’analyse de ses placements personnels et de ses façons de produire un geste. C’est à dire par une conscientisation et un ajustement depuis l’extérieur. Dans ce moment là il est possible, voir judicieux, d’utiliser un miroir ou de se filmer. Cela facilite les prises de conscience.
Mais, pour que cet ajustement corporel perdure et s’installe pleinement dans le temps, vient ensuite, ou plus souvent conjointement, la nécessité d’avoir la sensation de son placement depuis l’intérieur, afin que ce nouvel ajustement puisse s’inscrire dans le schéma corporel à la place de la sensation précédente.
C’est le passage à la proprioception. C’est à dire la capacité que l’on a de percevoir de l’intérieur la position des différentes parties de notre corps, sans le recours à la vision. Ce sens dans la pensée chinoise est lié au sens du toucher, au Cœur, au sang et à la modalité feu. Il peut être vécu de façon spontanée ou inconsciente, c’est le cas de la plupart des mouvements que nous faisons dans notre vie quotidienne. Dans la pratique du Qi Gong nous préférerons sa forme consciente qui nous permet d’avoir une sensation claire et précise de notre position corporelle dans l’espace.
Cependant, une fois que le corps est « dans sa place » et que la structure est fluide, la problématique va être de ne pas « penser » les ressentis qui apparaissent dans la pratique, mais de rester dans les sensations corporelles sans passer à l’analyse. Autrement dit rester dans la proprioception, le toucher intérieur.
Or très souvent, même si on n’induit pas un ressenti par la pensée, une fois qu’il apparaît, au lieu de rester simplement dans ce ressenti, on le pense, on le nomme, du coup on le juge, on l’analyse, on le justifie, … On le passe au filtre de l’analyse du mental et ce faisant, même si on croit rester dans le domaine du ressenti, en réalité on quitte ce domaine pour entrer dans un autre domaine de l’esprit : le domaine de la pensée et de son expression.
Dominique Banizette et Zef Bourdet
Chabottonnes le 1er Juin 2024