Je sais intimement, pour l’avoir vécu moi-même et le vivre encore, et pour le voir depuis de nombreuses années chez mes élèves, que la pratique des arts internes chinois amène un remodelage profond de la structure corporelle et du fonctionnement global de la personne. Ceci, grâce à : une répartition judicieuse de la tonicité musculaire, une liberté retrouvée de la fluidité articulaire, un apaisement et une clarification de l’esprit, une sérénité émotionnelle bien établie, une libération des entraves à la fonction respiratoire et une augmentation du niveau énergétique de la personne.
En 2009/2010 j’ai eu l’occasion, par l’intermédiaire de stages organisés pour ses enseignants par la FEQGAE (fédération de Qi Gong, art énergétique), de travailler avec Benoît Lesage sur le thème « un corps conscient, un corps à construire ». Dans ces stages ont été abordées de nombreuses techniques allant de l’eutonie gestuelle de Gerda Alexander, au Feldenkrais, en passant par une approche des chaînes musculaires de Godelieve Struyf Denys. Durant ces stages, Benoît Lesage nous a fait pratiquer couchés, assis ou debout, de très nombreux exercices issus de ces différentes techniques afin de conscientiser les tensions corporelles et de réharmoniser l’ensemble de la structure corporelle.
Or, plus j’avançais dans la compréhension de ces techniques et en particulier dans la compréhension des chaînes musculaires, plus j’étais étonnée de voir à quel point les exercices mis en place par ces différents thérapeutes pour rééquilibrer la structure corporelle étaient proches, voir conformes, aux mouvements pratiqués dans les différentes séries de Qi Gong que je pratique depuis de nombreuses années. J’étais émerveillée par l’éclairage qu’apportaient des techniques occidentales performantes mais récentes, aux pratiques chinoises, et je réalisais pleinement combien cette pratique pluri millénaire est intelligemment construite pour réharmoniser, rééquilibrer et fluidifier la structure énergétique au travers de la structure corporelle.
Les chaînes musculaires correspondent à des tensions qui s’inscrivent dans la structure corporelle, et engagent un ensemble de muscles. Ces tensions se propagent sur une longue distance englobant la totalité de la personne. Souvent sans conséquences majeures elles peuvent parfois être très handicapantes. Ces mises en tension des chaînes musculaires entravent non seulement le fonctionnement harmonieux du corps mais induisent un comportement émotionnel et social particulier à chacune d’entre elles.
A la lecture de ces chaînes musculaires, une nouvelle grille de compréhension de ma pratique m’est apparue et, comme je le disais précédemment, j’ai eu une conviction intime que la pratique du Qi Gong, dans son approche corporelle et énergétique, était idéalement construite pour amener un rééquilibrage des chaînes musculaires.
J’ai donc essayé d’en comprendre un peu plus sur ces fameuses « chaînes ». La lecture des livres de Godelieve Struyf Denys, Philippe Campignion et Léopold Busquet a confirmé mon ressenti premier. Ces livres m’ont également fait pressentir qu’un lien pouvait s’établir entre les chaînes musculaires et les merveilleux vaisseaux qui sont les méridiens qui établissent la structure énergétique dès les premiers jours de la conception et qui la maintiennent tout au long de la vie. Et que la mise en place de tensions dans une chaîne musculaire pouvait certainement avoir un impact sur la fonction du merveilleux vaisseau associé.
J’en étais là de mes réflexions, quand un jour d’Octobre 2010, alors que je pratiquais chez moi et pour moi le Tai Ji Qi Gong de Jiao Guo Rui qui est la série de référence de ma lignée (le Qi Gong Yang Sheng), me sont revenus à l’esprit les exercices d’échauffement proprioceptifs pratiqués le matin avec Benoit Lesage et que je n’avais pas refaits depuis le dernier stage. Parmi les nombreux exercices proposés, il m’est apparu nettement que 8 de ces exercices pouvaient se rassembler en une série de Qi Gong susceptible à elle seule de rééquilibrer l’ensemble des chaînes musculaires et d’harmoniser le fonctionnement de l’ensemble des merveilleux vaisseaux.
Benoît Lesage consulté se révéla enthousiaste à l’idée que je réalise le projet de construire un Qi Gong à partir de ces exercices.
J’entrepris donc un processus de réflexion et de mise en forme de ces mouvements dans le sens de la pratique des Arts Internes, commençant ce que l’on peut appeler «la composition » d’une série de Qi Gong, comme on compose un morceau de musique ou une peinture, à partir d’une intention, ou d’une intuition et en s’appuyant sur l’ensemble de ses connaissances et de ses ressentis.
Les 8 exercices s’étant imposés d’eux mêmes à mon esprit, je n’avais donc pas à les choisir mais plutôt à les ordonner et à les remodeler, pour certains très peu, pour d’autres beaucoup plus, afin de les rendre conformes à l’esprit et à l’intention de la pratique.
Puisque j’avais la conviction du lien existant entre les chaînes musculaires et les merveilleux vaisseaux, j’ai ensuite essayé de ressentir la circulation de l’énergie mise en place dans cette gestuelle destinée à harmoniser les chaînes musculaires et de voir quels étaient les merveilleux vaisseaux, les méridiens ou les organes concernés. Ce travail a effectivement confirmé mon ressenti du lien existant entre les chaînes musculaires et les merveilleux vaisseaux. Quelques modifications ont encore dues être apportées à ce stade pour harmoniser le geste avec la circulation de l’énergie dans ces méridiens de structure.
Puis j’ai cherché, le plus souvent encore par le ressenti, les points d’attention précis sur lesquels placer son esprit pour faciliter la mise en circulation de l’énergie dans tel ou tel méridien, dans tel ou tel organe ou dans telle partie du corps.
Et j’ai placé le mode et le rythme de la respiration afin d’obtenir l’efficacité la plus complète pour chaque geste.
Le moment était venu de nommer chacun de ces 8 mouvements. Je l’ai fait en utilisant la symbolique de la pensée chinoise, en fonction des effets respectifs de chaque geste, comme cela se fait dans les différentes séries existantes.
Enfin, j’ai réfléchi au nom que je pouvais donner à ce Qi Gong, afin que ce nom en exprime le plus clairement possible, l’esprit et les effets.
Toujours enthousiaste à la lecture de cette réalisation, Benoît Lesage est venu par deux fois à Joannas, d’une part pour pratiquer cette série, d’autre part afin que nous finissions de l’affiner ensemble.
Quelques modifications ont alors été apportées. Entre autre, le nom que j’avais trouvé ne faisant pas l’unanimité, j’en ai cherché un autre, qui est celui en usage actuellement : le Yang Sheng Ba Shi : les 8 exercices pour nourrir la vie. Nom qui exprime effectivement très bien le contenu de cette pratique.
Un des gestes qui m’était venu à l’esprit au départ ne nous semblant finalement pas opportun, nous avons préféré le mettre dans les exercices de préparation ou il semble mieux à sa place et Benoît Lesage en a proposé un autre pour compléter la série. Il me semblait en effet opportun vu la symbolique du chiffre 8 dans la pensée chinoise et le lien entre cette pratique et les 8 merveilleux vaisseaux de garder un ensemble de 8 mouvements.
Comme toutes les séries de Qi Gong, cette série, fruit d’une collaboration entre Benoît Lesage et moi-même, va beaucoup plus loin que la seule réharmonisation de la structure corporelle. Elle englobe le niveau énergétique et elle le fait à un niveau très profond puisqu’elle s’adresse principalement aux méridiens curieux qui sont comme on l’a vu précédemment les méridiens qui établissent et maintiennent la structure fondamentale de chaque personne durant toute sa vie. Elle s’adresse également au cœur et à l’esprit qu’elle conduit : l’un vers la paix, l’autre vers la clarté.
Je voudrais ici remercier mon maître Minoru Hoshino qui m’a permis de découvrir ces magnifiques pratiques que sont le Qi Gong et le Tai Ji Quan et qui m’accompagne depuis 1986 dans cette voie. Sans son enseignement à la fois riche et profond mais aussi calme et joyeux, le Yang Sheng Ba shi n’aurait certainement pas existé.
Je remercie également Benoît Lesage pour son enseignement sur la conscience corporelle et sur les chaînes musculaires qui m’ont ouvert des horizons nouveaux. Je le remercie également pour avoir cru possible cette réalisation, ainsi que pour sa collaboration dans l’élaboration de ce Qi Gong.
Un grand merci également à tous les enseignants qui m’ont permis d’avancer dans cette voie et à mes élèves toujours enthousiastes, qui m’accompagnent depuis si longtemps dans mon cheminement et qui apprécient pleinement le Yang Sheng Ba Shi.
Enfin, merci à Zef, mon compagnon depuis bientôt 40 ans. Sans qui aucune de nos réalisations n’auraient pu voir le jour.
Je souhaite que cette série du Yang Sheng Ba Shi reste vivante et que comme toutes les séries de Qi Gong, elle continue à évoluer. Je souhaite également qu’elle réalise ses objectifs qui sont non seulement le rétablissement d’une bonne santé corporelle mais également l’ouverture du cœur et de l’esprit.
Et je suis convaincue que si sa composition a été opportune, le Yang Sheng Ba Shi aura une longue vie !
à Joannas, en janvier 2013
Dominique Banizette
Vous pouvez aussi lire les commentaires d’une chorégraphe sur cette série : « le Yang Sheng Ba Shi par Evelyne Castellino »